Titre : | Europalia, stop ou encore ? |
Auteurs : | TELLIER GENEVIEVE |
Type de document : | Livre |
Editeur : | Bruxelles : Labor, 2005 |
Collection : | QUARTIER LIBRE, num. 84 |
ISBN/ISSN/EAN : | 978-2-8040-2065-1 |
Format : | 96 p. ; 22 x 13 cm |
Sujets-matières : |
culture
Union européenne musées |
Index. décimale : | 35185 (Administration de la culture. Politique culturelle. Education permanente.) |
Résumé : |
CET OUVRAGE SE TROUVANT EN MAGASIN, VEUILLEZ VOUS ADRESSER AU SERVICE DE DOCUMENTATION. Europalia ? Cet automne, Europalia ouvre son 20ème festival. Cette fois, elle a invité la Russie. Ou plutôt, la Russie s'est invitée. Celle-ci, pour un montant finalement assez modique de six millions d'euros, s'offre pour quelques mois une vitrine élégante sur le devant de la scène européenne. Ambiance culturelle au parfum artistique assuré. Le festival proposera pas moins d'une vingtaine d'expositions, quelques dizaines de concerts, etc. En somme, pourquoi pas ? Elle en bénéficie comme toutes les nations qui l'ont précédée depuis 1969 : l'Italie, les Pays-Bas, la France, l'Allemagne, la Belgique, la Grèce, l'Espagne, l'Autriche, le Japon, le Mexique, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Bulgarie. Depuis trente cinq ans, le festival Europalia (mis sur pied par le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles) tient ce rôle de faire-valoir politique. Au plus souvent d'ailleurs avec brio, comme dans les années 1980 : les plus âgés se souviendront avec délectation des festivals espagnol, autrichien ou japonais. Parfois avec moins de bonheur comme en 1996 quand elle invita la Turquie. Elle dut finalement tout annuler. Pour cause : notre opinion publique pouvait-elle faire semblant d'ignorer le sort de l'importante minorité Kurdhe ? A cet égard, notre conscience politique semble devenue plus « accommodante » aujourd'hui. Ni l'autoritarisme de M. Poutine, ni le sort des Tchéchènes n'ont soulevé la moindre vaguelette de protestation dans la presse. D'ailleurs, l'exemple ne vient-il pas d'en haut ? Quand on voit tous les Grands de ce monde qui se perdent en ronds de jambe devant leur collègue russe. Sans doute a-ton oublié les leçons de l'histoire et croit-on pouvoir impunément tout mélanger : ici clamer haut et fort ses vertus démocratiques, là donner quelques leçons pratiques à ceux qui n'ont pas tout compris et enfin s'autoriser quelques moments forts d'indulgence idéologique. Mais pour les responsables d'Europalia, convaincus de ne pas jouer dans une pièce politique, le marché culturel est trop tentant. La veine est, en effet, épuisée : on a fait le tour des nations et les candidats ne se bousculent plus au portillon. Songez à tous ces trésors, ces expositions, ces concerts qui vont gâter tous nos sens ! C'est là le deuxième hic ! En trente cinq ans, le monde a terriblement changé et tout ce qui portait ce projet colossal et lui donnait son cachet, sa qualité culturelle et son prestige n'est plus ! Que l'on songe à la transhumance touristique extraordinaire de nos jours. Toujours plus nombreux, grâce aux compagnies low cost, nous partons visiter l'Europe. Dans les années 1970 et 1980, les musées étrangers cherchaient encore de la publicité, coopéraient avec leurs gouvernements et prêtaient bien l'un et l'autre de leurs trésors. Imagine-t-on aujourd'hui, celui que l'on surnomme le dernier tsar, Mikhail Piotrovsky (il est le conservateur de l'Hermitage qui est le musée le plus grand du monde), faire antichambre dans les bureaux d'Europalia pour la promotion de ses chefs-d'oeuvre ? Aujourd'hui les musées échangent leurs trésors entre eux pour offrir au public des expositions toujours plus extraordinaires. Europalia est hors du circuit. Et l'Europe ? N'a-t-elle pas grandi, même si l'on se plaint de ses atermoiements ? En 1986, l'Espagne et le Portugal et avant eux la Grèce en 1982, faisaient leur entrée dans la jet set européenne. Ces nations avaient tout à prouver. Elles ont vidé leur musées de province, leurs églises. Même le Prado avait prêté vingt-deux oeuvres ! Les budgets aussi étaient à la mesure de ces ambitions : plus du double de celui d'aujourd'hui. Quant au sérail belge - politique, culturel ou financier-, pour lui aussi la donne a changé. Les mentalités se sont résolument régionalisées. Qui veut encore se battre pour une institution qui flatte l'idée de la Belgique ? Un dernier carré, sans doute, mais le gros des troupes pense et dépense pour le Nord ou le Sud du pays. Tant que l'on est au chapitre des egos nationaux, ne doit-on s'interroger sur la mécanique politique européenne d'Europalia ? Quelles idées, quelle identité nourrit-elle en servant de marche-pied à toutes ces nations en mal d'accréditation sur la scène bruxelloise ? Doit-elle flatter les fibres nationales à l'heure où l'on rêve de bâtir une grande Europe ? Tôt ou tard, Europalia devra revoir sa copie. Ou alors se voir contrainte à un exercice publicitaire qui ose toutes les exagérations et tous les superlatifs. Pour attirer et flagorner le public, ne doit-elle pas promettre les oeuvres les plus illustres des artistes les plus légendaires provenant des musées les plus célèbres de la Grande Russie ? Si les responsables d'Europalia (depuis longtemps, ce ne sont plus les pionniers de l'institution) ont naturellement envie de chausser les confortables charentaises héritées du passé, pourront-ils indéfiniment surfer sur la confiance du public, capitalisée au fil des décennies ? Un revirement catastrophique est toujours à craindre si ce dernier se rend compte qu'on lui vend des expositions photos « faites maison » au lieu des quelques joyaux de la Russie profonde. Alors ? Au public de choisir : ou une formule au gain éducatif très moyen, un prise de position politique internationale discutable, un travail idéologique et politique à l'échelle européenne plutôt passéiste ou une formule reliftée qui lui rendrait toute sa raison d'être et son prestige. Pourquoi pas ne pas monter un festival baroque européen (ou une Europalia-gothique, peu importe) dans différentes grandes villes d'Europe ? Laissons à la France le soin de nous faire entendre sa musique, laissons l'Italie nous montrer sa peinture des maîtres du XVIIème et l'Allemagne sa sculpture ; en Belgique, occupons-nous de la Contre-Réforme, et que les Espagnols nous fassent admirer leur « baroquisme religieux délirant ». Europalia, avec une équipe exécutive peuplée d'Européens, se chargerait (comme elle le fait aujourd'hui avec les opérateurs culturels belges), de coordonner le tout et de veiller à une unité de la présentation et de la promotion transposée à l'échelle européenne. Sur le territoire belge, elle aurait à organiser « ses » manifestations pour illustrer le thème choisi. Elle pourrait aussi promouvoir des circuits de visite entre ces grandes villes européennes et faire de Bruxelles son centre de ralliement. Cette formule aurait une valeur ajoutée européenne extraordinaire. L'ensemble du public de plusieurs pays serait touché en même temps, par le même sujet, grâce au travail d'Européens autour d'un projet commun. On créerait un sentiment de solidarité, entre les structures mais aussi entre les peuples qui, même éloignés, se sentiraient unis autour d'un patrimoine commun, ce qui ne les empêcherait pas de se savoir différents mais démontrerait cette unité dans la diversité. Ne serait-ce pas là un bel avenir pour Europalia ? Ne serait-il pas plus exaltant de se consacrer à un projet culturel dont la portée sociale serait sans précédent ; un projet culturel de qualité au service de la communauté des Européens, qui compte plus d'un demi-milliard d'hommes et de femmes ? |
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