Titre : | La redéfinition permanente de l’État de droit par la Cour européenne des droits de l’homme (2016) |
Auteurs : | Céline Husson-Rochcongar, Auteur |
Type de document : | Article : Article de revue |
Dans : | Civitas Europa (n° 37, 2016/2) |
Article en page(s) : | 36 p. |
Langues: | Français |
Sujets-matières : |
Cour européenne des droits de l'homme (CEDH)
état de droit démocratie |
Résumé : | Omniprésent dans les discours politiques et juridiques, l’Etat de droit constitue aujourd’hui l’un des principes revendiqués par les Etats à la manière d’une certification démocratique. Forgé par les flux et reflux qui ont modelé la conception occidentale de l’Etat, de ses fonctions et des limites de son pouvoir, il a progressivement agrégé un ensemble d’objectifs présentés comme essentiels par les plus grands instruments de droit international, renvoyant désormais à des éléments tant substantiels que formels et s’envisageant également dans une perspective supra-étatique. Se pencher sur la manière dont la Cour européenne des droits de l’homme le mobilise permet d’analyser empiriquement son passage du ciel des idées de la théorie de l’Etat à la pratique du droit européen des droits de l’homme en s’appuyant sur une étude jurisprudentielle. En effet, alors même qu’il ne figure pas dans la Convention de 1950, la Cour s’est progressivement approprié l’Etat de droit en en construisant un double usage : l’envisageant tantôt comme rempart contre l’arbitraire, tantôt comme contrainte politique, elle l’emploie alternativement pour suppléer prééminence du droit et démocratie. Dissolvant la notion dans l’argumentation développée au fil des affaires, elle en imprègne sa jurisprudence comme par capillarité, l’Etat de droit évoluant du statut de notion clé de la théorie de l’Etat à celui de « valeur sous-jacente à la Convention européenne des droits de l’homme ». Virant parfois à l’invocation, il peut contribuer à engendrer la formation d’un brouillard normatif. Toutefois, en l’insérant au cœur d’un raisonnement fondé sur l’axiologie, la Cour en fait un rouage essentiel de sa technique interprétative : cet usage rhétorique contribue au renforcement de la légitimité rationnelle-légale par la légitimité axiologique car, en évoquant l’Etat de droit, c’est en réalité à une certaine idée de la manière dont un Etat appartenant au cercle des démocraties occidentales doit s’auto-limiter pour être digne de cette appartenance que la Cour renvoie. Ce n’est plus l’Etat qui se trouve ici légitimé par un renvoi aux exigences de l’Etat de droit mais la Cour, dans son rôle de redéfinition permanente du modèle démocratique européen. C’est donc moins l’Etat de droit lui-même que ce modèle démocratique qu’elle entend protéger au nom de l’Etat de droit que la Cour contribue à redessiner jour après jour. Mais, si évoquer l’Etat de droit lui permet ainsi d’établir, renforcer ou modifier certaines solutions jurisprudentielles d’importance, au-delà, le procédé participe également au renouvellement de l’imbrication entre le politique et le juridique via une forme de juridicisation du politique. Car c’est à une notion d’« Etat de droit » modifiée et enrichie par la banalisation de son usage politique que la Cour s’emploie à faire produire des effets. Or, ce faisant, elle risque de le fragiliser en révélant que, dans ce cadre jurisprudentiel, l’Etat de droit est avant tout un discours, une rhétorique. N’impliquant rien par lui-même, il n’est finalement que l’instrument de qui veut l’instrumentaliser. Avoir conscience de cette incongruence impose une vigilance quant aux rhétoriques qui se mettent en place, particulièrement dans un contexte d’état d’urgence. |
Note de contenu : |
I. Appropriation : la construction progressive d’un double usage de la notion d’« État de droit » par la Cour européenne des droits de l’homme A. Rempart contre l’arbitraire, l’État de droit supplée la prééminence du droit B. Contrainte politique, l’État de droit supplée la démocratie II. Effets : le renforcement de la légitimité rationnelle légale par la légitimité axiologique A. Interprétation, rhétorique et référentiel axiologique : la dissipation du brouillard normatif B. L’imbrication particulière du politique et du juridique dans la jurisprudence de la Cour |
Fonds : | Courant |