Titre : | Wilfried Magazine, N°32 - Automne 2025 - Bruxelles brûle-t-elle ? |
Type de document : | Bulletin : Numéro de revue |
Paru le : | 08/10/2025 |
Année de publication : | 2025 |
Langues: | Français |
Résumé : |
On dit qu’elle est vieille et moche, qu’on ferait mieux d’en raser la moitié et de tout recommencer, mais on pleurniche parce qu’elle est sans cesse en travaux.
On dit qu’elle est désargentée, mais on voit des chantiers immenses et somptueux qui peut-être feront sa gloire. On se plaint que cette ville soit si sale et, parce qu’on n’a pas de quoi le transporter jusqu’au parc à conteneurs, on fourre un vieux matelas sous un abribus. On se réjouit que son quartier soit si propre et on se rend à la déchetterie en SUV. Ceux qui respirent l’air de la campagne ne comprennent pas qu’on puisse y habiter, mais ils n’ont jamais songé à ce que pourrait ressembler leur campagne s’il fallait y installer 1,2 million de Bruxellois. Ceux qui respirent l’air de Bruxelles ne comprennent pas qu’on puisse habiter à la campagne, mais ils oublient qu’habiter Bruxelles est maintenant un privilège de riche. On dit que c’est une ville de ghettos, mais dans ma petite rue vivent un caissier chez Colruyt d’origine congolaise, une ancienne ministre d’ascendance bruxelloise, une experte-comptable dont les parents ont grandi au Maroc, un couple sikh qui tient un carwash, un chauffeur de taxis né en Albanie, un gars de la Commission européenne qui n’a connu que Bruxelles, un fou à longue barbe qui réveille le quartier en beuglant des injures et le soir parle posément littérature aux passants qu’il a tirés du lit. On dit que c’est une ville métissée, un exemple de cosmopolitisme, mais dans certains quartiers on ne trouve que des hommes sur les places publiques ou aux terrasses des cafés, et dans d’autres ne se promènent que des Charles ou des Léopoldine. On dit que c’est une ville sans eye contact, mais dans ma petite rue on se salue, on s’entraide, on va boire le thé chez l’un et l’Orval chez l’autre, on invite la voisine à glaner des grappes de raisins sur sa vigne en façade. O n dit que c ’est une ville conviviale, mais j’ai déjà assisté à une collision frontale entre deux piétons penchés sur leur téléphone. On dit que c’est une ville où règne une atmosphère bon enfant, mais à un jet de pierre de ma petite rue, et plus proche encore de l’école de mon fils, vivaient deux narcotrafiquants qui maniaient dans leur appartement un pistolet-mitrailleur Uzi et tiraient des cartouches de 9 mm en vue de préparer un assassinat, qu’ils ont accompli. On dit que certains coins sont des coupe-gorge, mais quand on va dans ces coins on ne trouve que des plaines de jeux, des terrasses tranquilles, des places arborées où les gamins jouent au foot. On dit que c’est une ville mal-aimée des Belges, les Belges qui ne jurent que par Paris, mais quand on demande aux Parisiens qui y vivent ce qu’ils pensent de Bruxelles ils disent qu’ici c’est presque un paradis. On dit qu’on quitte Bruxelles parce qu’on a trop besoin de nature, mais une fois quittée on s’entoure de lotissements, de nationales, de quatre-façades et de champs de monocultures, et on se surprend à regretter le bois de la Cambre ou le Jardin botanique. On dit de Bruxelles que c’est l’une des capitales les plus vertes d’Europe, que la végétation couvre plus de la moitié de son territoire, mais on n’a jamais habité dans l’hypercentre ou le croissant pauvre, où les jardins privés sont impayables et la densité du bâti rend fou. On demande à ceux qui s’y déplacent à vélo si ce n’est pas inconscient de risquer sa vie tous les quatre matins, si ce n’est pas masochiste de sniffer des pots d’échappement, mais on ne connaît pas la sensation de dépasser une colonne de voitures bloquées au feu rouge et atteindre le carrefour pile au moment où ça passe au vert. On se demande pourquoi s’obstiner à rouler en voiture à Bruxelles alors qu’il y a le long-tail ou le bakfiets, mais on oublie qu’on a un salaire pour se le payer, un garage pour le mettre à l’abri, une bonne santé pour pédaler, un capital culturel qui nous donne la confiance d’imposer notre loi sur le bitume. On dit de Bruxelles que son PIB par habitant est largement supérieur à celui de la Flandre ou de la Wallonie, mais dans certains quartiers la moitié des jeunes en âge de travailler ne travaillent pas. On rappelle qu’elle est toujours sans gouvernement, que les présidents de parti se foutent de ses habitants, mais personne ne descend dans la rue. On y habite depuis douze ans, et on a vu comment elle s’est embellie. Et on a vu comment la misère s’y est étendue. On peut ne pas l’aimer, mais il n’y a pas de honte à dire qu’on l’aime. |
Fonds : | Courant |
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106001 | 32000 WIL | Revue | Centre de documentation | Salle de lecture | Disponible |